Dimension STC - Sciences et techniques de la communication
Les sciences et techniques de la communication cherchent, en définitive, à trouver une juste posture de type humaniste, autrement dit à nous aider à réussir nos relations. Si nous étudions de près la nature de la communication humaine, nous observons que notre espèce sapiens sapiens - l’homme qui sait qu’il sait - est un communiquant qui produit ses messages selon trois registres simples :
une communication avec lui-même
une communication avec l’autre
une communication avec tous les autres.
- En ce qui concerne la communication avec lui-même, nous pourrions parler d’un humanisme radical ; c’est l’idée que je suis, moi sujet, prioritaire sur tout le reste, cherchant alors, par une sorte d’égoïsme sain, à me réinventer et me recentrer afin d’être le plus possible en accord avec moi-même. Les philosophes de l’Antiquité parlaient à ce propos de la nécessité d’être en accord avec notre essence. Pour parvenir à cette adéquation avec soi deux approches sont possibles :
La pensée réflexive, le bon sens :
Cette manière de réfléchir consiste à simplement « penser » ; cependant réellement penser, c’est penser contre soi. Toute pensée est subversive et se fait contre quelque chose. Bergson faisait remarquer que tout philosophe doit penser contre les philosophies précédentes s’il veut innover un tant soit peu.
En définitive, l’idée est d’accepter d’être dérangé dans nos a priori, nos psychorigidités.
Penser, c’est prendre le risque de nous déconstruire, prendre le risque de vraiment nous contrarier. Et ce n’est qu’à ce moment-là que l’acte de la pensée personnelle est possible.
La réappropriation sensorielle :
Cette manière de faire, avec un peu d’habitude, est courte et radicale ; c’est la voie du ressenti psychosensoriel et émotionnel. Nous ne sommes plus dans le cogito de Descartes, nous sommes dans une démarche plus intime, plus profonde, plus unifiée.
Ce n’est pas si simple à réaliser sous nos latitudes. Il s’agit de goûter ce que le philosophe et sinologue François Julien appelle l’inouï du réel, autrement dit une dimension de nous-mêmes jusqu’alors inaudible et non clairement vue. Le fait de ressentir par la sensation physique et émotionnelle ces aspects de soi peut être une vraie révélation. Cette révélation de soi s’accompagne d’un étonnement et d’une délicieuse félicité.
C’est probablement dans cette perspective que s’est développé un nombre incalculable de techniques cognitivo-comportementales.
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En ce qui concerne la communication avec l’autre, rappelons que réussir notre communication, notre relation à l’autre ne va pas de soi. Comme le souligne Gilles de Deleuze, « lorsque nous rencontrons quelqu'un nous sommes, dans un premier temps, comme condamnés à ne pas nous entendre ». Cette posture assez cynique peut paraître décourageante mais elle est pleine d’humour et de bon sens. En effet, nous sommes si différents sur le plan biologique et dans nos différentes personnalités que nous pouvons nous heurter à des autrement entendu, des mal entendus. Cependant, dans la mesure où nous sommes une espèce grégaire, nous espérons toujours que cette rencontre soit réussie, autrement dit qu’elle soit une véritable histoire d'amour sans les inconvénients…
Dans le mécanisme de la relation à l’autre nous co-créons un espace commun dans lequel nous allons ensemble pouvoir nous immerger. Tout se joue dans cet espace où l’autre devient indispensable. « Je m’étais perdu à moi-même et tu es venue me donner de mes nouvelles.» écrit André Breton.
En fait une relation duelle est une relation à trois termes. Nous y retrouvons le moi sujet, l’autre (radicalement diffèrent de moi) et un espace commun, un entre-deux, sans lequel la relation à réussir est impossible… Cet espace copartagé est polysémique au point d’en devenir indéfinissable…
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En ce qui concerne la relation avec tous les autres, parmi les nombreuses approches possibles, celle - intuitivement simple - de la dynamique du désir mimétique et de la rivalité mimétique, reste primordiale. Cette approche couvre l’essentiel de nos échanges interpersonnels ; elle a été abordée par des penseurs tels que Stendhal, Spinoza, René Girard…
Pour exemple, si je décide de nettoyer la planète des matières plastiques polluantes, même si je suis clair et déterminé sur mon but, le fait que cinq ou six personnes puissent partager mon projet provoque en moi un enthousiasme inattendu. Ce phénomène de joie est directement lié au fait que je vais désirer le désir de l’autre.
De plus, comme le souligne Spinoza, « l’amour est une joie accompagnée de l’idée d’une cause extérieure » ; autrement dit je vais habiller le plaisir à être en compagnie de personnes avec lesquelles je partage le même objet de désir d’un sentiment d’amour.
Nous comprenons qu’à l’inverse, si l’un des membres de l’équipe montre moins de goût à poursuivre ce projet, consciemment ou pas, son désengagement va provoquer chez moi une sorte de micro-frustration, de mélancolie flottante. En sa présence, j'ai de la tristesse et moins d'énergie. « La haine est de la tristesse accompagnée de l’idée d’une cause extérieure » écrit Spinoza. Autrement dit, si je ressens une tristesse et une fatigue en la présence de l’autre, je vais appeler ceci du non-amour, voire de la haine.
Ce mécanisme systémique ne s’arrête pas là. En effet il peut y avoir diabolisation du personnage jugé comme dissident qui peut dès lors être élu « bouc émissaire », « servir de fusible » dans les organisations vulnérables.
Il existe plusieurs autres aspects à cette logique, nous ne pouvons les explorer tous. Notons cependant celui des personnalités charismatiques, solaires, capables de fédérer autour d’elles le groupe de travail. Ces « leaders charismatiques » jouent le rôle de médiateurs, de facilitateurs.
Le problème se devine très vite. Si un « médiateur facilitateur » se dit « eh bien moi, les plastiques, j’en ai fait le tour ! Maintenant je vais faire un truc qui m’intéresse davantage, je vais m’occuper des nouvelles énergies afin de remplacer les énergies fossiles ! » ; il en a le droit, il n’est pas contre les plastiques, mais il cherche peut-être une autre motivation.
Quoi qu’il en soit, nous sommes dans la même situation que précédemment : les partenaires vont connaître un phénomène d’attristement, de perte d’énergie, de frustration à ne pas pouvoir s’appuyer sur ce médiateur et petit à petit ce dernier va être diabolisé au point de risquer d’endosser le rôle de bouc émissaire.
Nous sommes dans les situations où, quand vous gérez des hommes et des équipes, si vous voulez accéder à une promotion, soyez prudent quand vous revenez dans l'équipe ! On risque de ne pas vous y accueillir à bras ouverts comme prévu par votre imagination !