Mieux prendre en charge la fin de vie

 

Comprendre l’existence, savoir vivre sa mort

Pour une juste distance des aidants

Préface de Patrick Lemoine1

C’est pour deux raisons que j’ai accepté de préfacer l’ouvrage d’André. La première et à mes yeux la plus importante, c’est que le professeur Marro est un ami et que je connais donc son enthousiasme et aussi ses qualités d’humaniste passionné, sans parler de ses compétences d’anthropologue. La seconde est que son ouvrage est complètement original et apporte un éclairage nouveau à la difficile question de la position existentielle des aidants. Ni métier, ni bénévolat, mais bien apostolat, le fait est que cette mission est à haut risque si l’on en juge par son haut risque de burn-out, d’épuisement, de maladie physique ou mentale qui malheureusement altère l’espérance de vie de ceux qui ont accepté cette mission (presque) impossible.

J’ai longtemps dirigé sur le plan médical l’ensemble des cliniques psychiatriques du groupe Orpéa-Clinéa qui compte par ailleurs plusieurs centaines de maisons de retraite laidement rebaptisées EHPAD… (quand lutterons-nous contre cette maltraitance des mots qui transforme les choses en sigles ?) À ce titre, j’ai souvent été en admiration devant l’action vertueuse des aidants et parfois dérouté, pour ne pas dire ému par leur difficulté à supporter certaines situations dites anxiogènes. (Toujours cette satanée maltraitance sémantique !).

Tout au long de son remarquable essai, fruit de sa longue expérience professionnelle et d’une solide réflexion anthropo-philosophique, André Marro rappelle que le désarroi des aidants n’est pas une simple fiction, ni une suite de faits divers. Il ne se contente d’ailleurs pas de décrire, mais il propose aussi des pistes en vue de ce qu’il appelle des « actions correctives concrètes ». Au fond, pour résumer sa pensée, son conseil est à la fois simple et lumineux : chercher et adopter une juste et salutaire distance professionnelle afin de ne pas s’épuiser car accompagner une personne, souvent un proche au cœur du mystère, parfois insoutenable de la souffrance et de la fin de la vie ne va pas de soi.

 

Les aidants sont tiraillés entre deux positions possibles :

La première attitude peut être qualifiée de « matérialiste », scientifique, rationnelle, voire positiviste. En ce qui concerne la gériatrie c’est le domaine des soins palliatifs et du cadre juridique de la loi Léonetti. Bien peu d’aidants se sentent à l’aise ou simplement « légitimes » quand ils adoptent – par force – cette pensée moderne.

La deuxième attitude consiste à se placer dans le champ théologique, avec son cortège de croyances et de certitudes. Là encore les aidants peuvent se sentir illégitimes car ils ne sont pas - et/ou ne sont plus - des religieux… et que l’aidé n’a pas forcément la fibre mystique !

Alors, la plupart du temps, désemparés, ils s’abritent derrière leur « technicité », ou trouvent une justification en invoquant sans toujours y croire le « je croyais bien faire ».

Ne serait-t-il pas temps de respecter enfin ces légions d’aidants, professionnels (ou non professionnels d’ailleurs) et de réfléchir avec eux à une juste attitude leur permettant de se protéger et d’être des « facilitateurs » de vie et de soin. C’est en tout cas le credo d’André Marro qui plaide pour une harmonie entre une réflexion logique alliée à de solides qualités de cœur, tout cela au sein d’une équipe plusididscipinaire où la médecine, l’anthropologie, tout autant que la philosophie doivent trouver leur place.

Pour l’auteur, cette manière d’être des aidants ressemble à une mystique existentielle et demande un chavirement dans sa manière d’être et même de son Être. Plus précisément elle suppose la capacité de contacter son « lumineux et profond silence », celui par exemple de la transe dont notre anthropologue est un familier. Pour lui, seule une conscience unitive du réel apporte la sensation d’être comme « immobile, paisible et serein » dans son activité. On le voit, André Marro en appelle aux mâne de nos lointains ancêtres… en remontant à la nuit des temps, cette époque oubliée où les thérapeutes voyageaient dans le monde des esprits comme aujourd'hui on prend le métro !

Cet intrigant ouvrage invite in fine à retrouver au tréfonds de son âme le souffle de vie étrange et la sensation d’éternité que les aidants connaissent ou plutôt devraient connaître s’ils veulent vraiment être des aidants à vivre et aussi à mourir.

 

 

 

 

1 Psychiatre et écrivain